Cet article présente une nouvelle estimation de la transmission des prix mondiaux des matières premières aux prix à la consommation en Afrique, à la fois à l’échelle du continent et pays par pays. Si une abondante littérature a décrit la transmission des prix des matières premières aux prix à la consommation, les résultats existants s’appuient essentiellement sur des indices agrégés des prix des matières premières. Toutefois, une telle approche ne prend pas en compte les fortes hétérogénéités existant entre les prix des matières premières (tous étant agrégés en un seul indice) et entre les pondérations des matières premières dans la consommation locale (les indices agrégés étant fondés sur des pondérations représentatives du commerce mondial mais non de la consommation locale). Une estimation adéquate de cette répercussion est particulièrement importante pour les pays africains, qui dépendent fortement des importations de plusieurs matières premières, dont les marges financières sont étroites pour atténuer, pour le consommateur, la forte hausse des prix des matières premières observée depuis 2020 et dont la structure de consommation est très hétérogène.
Nous montrons tout d’abord, en utilisant les données d’enquêtes de la Banque mondiale, que les économies africaines se caractérisent par une forte hétérogénéité des paniers de consommation, tant en termes de part des produits alimentaires dans la consommation totale (qui va de 14 % en Afrique du Sud à 71 % au Burundi) qu’en termes de structure de la consommation alimentaire entre les types de céréales et d’huiles végétales. Nous documentons ensuite à la fois une forte hétérogénéité des prix des matières premières et des corrélations entre eux, au sein d’une même catégorie ou entre catégories.
Notre stratégie empirique prend acte de ces faits stylisés. Elle s’appuie sur un cadre flexible, qui prend en compte chaque matière première séparément, sans faire d’hypothèse sur le poids de chacun de ces produits dans les paniers de consommation. Plus précisément, nous mettons en oeuvre des projections locales (Jordà, 2005) sur des données de panel, en régressant les variations des indices des prix à la consommation de 0 à 18 mois sur les variations de prix mensuelles de 17 produits parmi les céréales (blé, riz, maïs, soja, arachide), les huiles végétales (huile de palme, huile de tournesol, huile de colza), l’énergie (charbon, pétrole brut, gaz naturel), les engrais (DAP, TSP, urée, potasse, phosphate) et le sucre. Nous couvrons une période comprise entre 2002m02 et 2021m04 et contrôlons pour l'intensité des catastrophes naturelles (à l'aide des données EM-DAT) et des conflits (à l'aide des données ACLED), le taux de change entre la monnaie locale et le dollar US et les taux de la politique monétaire. Les observations sont pondérées par le PIB en parité de pouvoir d’achat en 2021. La répercussion estimée atteint un maximum de 24 % et la répercussion à long terme (18 mois) est d’environ 20 %. Nous montrons que, lorsque nous utilisons les prix agrégés des matières premières, reproduisant ainsi le cadre habituel des estimations existantes, nous obtenons une répercussion proche de ces dernières, comprise entre 10 % et 15 %. Cela suggère que l’utilisation des prix agrégés des matières premières entraîne des biais à la baisse des effets estimés. Nous montrons également que les résultats sont robustes à la mise en œuvre de spécifications alternatives et à l’utilisation de différentes sources de données ou de différents types de contrôles, et que les répercussions sont statistiquement significatives à la fois pour les chocs positifs et négatifs sur les prix des matières premières (même si les formes des réponses cumulées des prix à la consommation sont légèrement différentes, avec une répercussion maximale plus élevée pour les chocs positifs). Nos résultats de référence ne sont donc pas uniquement déterminés par des chocs positifs ou négatifs.
Dans un dernier exercice, nous effectuons des régressions pays par pays, afin de corréler la transmission avec les caractéristiques observées dans les pays. Nous constatons une forte hétérogénéité des répercussions entre les 48 pays étudiés, avec des moyennes sur 18 mois comprises entre 0 et 100 % environ. Des répercussions plus faibles sont observées pour les exportateurs nets de pétrole, ainsi que pour les pays affichant un PIB par habitant plus élevé, de meilleures infrastructures de transport, des subventions plus élevées à l’énergie et une banque centrale plus indépendante (selon la mesure de Romelli, 2022, et en particulier dans les régimes de change flexibles). Au contraire, les répercussions sont plus importantes dans les pays où la part des produits alimentaires et de l’énergie dans le panier de consommation est plus élevée et où la part des impôts sur les biens et services dans les recettes publiques est plus élevée. Enfin, les répercussions estimées pour chaque matière première sont positivement corrélées avec la part des biens associée à cette matière première dans le panier de consommation.